"Ferrari" : Michael Mann s'envoie dans le décor

Il y a plusieurs manières de caractériser Michael Mann. L'une d'entre elles pourrait être une forme de transcendance du spectacle populaire, consistant à nous emmener au fin fond d'une représentation terminalement stéréotypée, poussée jusqu'au bout du kitsch voire de la beauferie, pour y trouver soudain un surgissement de grâce absolue. C'est ce qui justifie qu'on lui passe sans doute plus qu'à d'autres les clichés, les poses virilistes, les tropismes vulgaires : parce qu'on a vu Miami Vice et qu'on sait quelle espèce de pureté insoupçonnée, de transfiguration de la forme, le cinéaste est capable d'aller polir au bout de ces caricatures.

Dans Ferrari, Mann est au bout de la beauferie, mais ne trouve rien. Sortant sur Prime Video au terme d'une interminable gestation handicapée par le désastre commercial de son dernier filmHacker (50 millions de dollars de pertes), son biopic d'Enzo Ferrari saisit l'industriel à un pic de crise à la fois professionnelle et personnelle, l'année 1957. La maison fait face à un risque accru de faillite et mise très gros sur une course dont la victoire doit rétablir sa prééminence technique et la confiance des investisseurs ; au même moment, son mariage atteint un point de non-retour, tandis que sa maîtresse attend de lui qu'il reconnaisse enfin son enfant naturel.

Vitesse et inertie

Tout le film ne devrait être que vitesse, ingénierie et héroïsme, accélération de particules et tragédie des hommes – on ne manque pas, sur le papier, de prémisses manniennes. Il y a dans la concurrence prométhéenne des constructeurs quelque chose de l'ordre de la course à l'espace, plus ou moins contemporaine du récit ; une évocation aussi du film d'aviateurs pionniers, beau genre oublié cher au Hollywood d'entre-deux-guerres, et que vient ici réveiller une hécatombe de pilotes-playboys brûlés par un rêve d'Icare qui n'est plus le vol, mais la vitesse.

Pourtant étrangement, Ferrari ne laisse aucune impression cinétique, et produit à l'inverse un frappant effet d'inertie et de poids mort. En cause une double dose de pittoresque affectant à la fois le décor (une Italie rétro au dernier degré de la caricature publicitaire) et l'écriture des sentiments (des disputes conjugales à peine dignes d'une mauvaise pièce de boulevard, ce qui se veut plus ou moins justifié par le problème précédent : une Italienne, c'est jaloux et ça crie), qui à l'arrivée produit un film momifié, sclérosé, à la frontière de l'académisme pompier et d'une zone plus monstrueuse de parodie – mais sans assumer vraiment ce déraillement, contrairement à un House of Gucci auquel on pense forcément beaucoup (Adam Driver, saga industrielle, faux accent italien) et que l'esprit de sérieux de ce biopic-ci aurait plutôt tendance à nous faire réévaluer à la hausse.

À quoi eût-il tenu que ce galimatias de mauvais clichés passe soudain du côté du chef-d'œuvre ? Mann a déjà tant prouvé à quel point la bascule relevait de l'ineffable qu'on reste, tout du long, arrimé à l'improbable hypothèse que la magie survienne – quelque chose, même, donne envie d'y revenir. Peut-être un jour.

Ferrari de Michael Mann, avec Adam Driver, Penélope Cruz, Shailene Woodley, sur Amazon Prime Video.

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