“La Seconde femme” : de Nicole Kidman à Isabelle Huppert, 8 portraits d’actrices qui réinventent les critères du féminin

“Catherine Deneuve est un des plus grands réalisateurs français ; une des très rares qui ont su changer le cinéma mondial”, affirmait Arnaud Desplechin dans Une Certaine lenteur, précieux petit recueil d’un entretien malicieux et érudit entre lui et l’actrice. Cette dernière ne figure pas dans la liste des huit actrices qui composent le nouveau livre de Murielle Joudet, autrice et critique de cinéma aux Inrocks et au Monde. Pourtant, c’est sensiblement vers ce même constat (l’actrice comme cinéaste et créatrice de forme) que tend, in fine, La Seconde femme – Ce que les actrices font à la vieillesse (et non l’inverse). Un titre éloquent, que Joudet a choisi en référence à The Second woman, la pièce dans laquelle Gena Rowland – personnage au crépuscule de sa vie d’actrice et auquel l’autrice a d’ailleurs consacré son avant-dernier ouvrage) – s’apprête à jouer dans Opening Night. Sans surprise, le film de Cassavetes, mais aussi All About Eve de Mankiewicz – son plus évident et inspirant modèle -, sont les deux films-astres de Joudet, et se révèlent ici comme les sources nourricières d’une réflexion au long cours sur les actrices, les femmes, le vieillissement et, donc, le cinéma. L’un comme l’autre, les deux films mettent en scène le passage de relais houleux entre la “première femme”, celle qui possède la jeunesse, le droit à une existence surveillée et régie par le patriarcat, et “la seconde”, la vieille, rendue invisible faute d’“une crise de l’imagination”, comme l’écrivait Susan Sontag. Mais c’est finalement moins ce déclassement, ce changement d’état entre l’une et l’autre, qui est au cœur du livre, que sa plus fervente et revigorante riposte. Le triomphe rusé de huit femmes En choisissant de consacrer chacun de ses chapitres à une actrice, et d’invoquer avec elles les spectres de beaucoup d’autres, Murielle Joudet décrit avec une grande précision, ainsi qu’avec plusieurs trouvailles géniales (sur Nicole Kidman par exemple : “Une machine à faire tenir ensemble le programme inscrit dans son nom, sommet d’accomplissement au féminin : Kid-man”), bien plus qu’une simple négociation, mais bien la cohabitation tangible de ces actrices avec leur propre vieillesse, leur inspirante débrouillardise. Après Nicole Kidman se succèdent sept autres femmes. Thelma Ritter, d’abord, “la gouvernante affairée et malicieuse” de Fenêtre sur cour. Brigitte Bardot, ensuite, femme retirée “au bord de la mer, qui regarde passer la France”, puis Meryl Streep, “qui n’existe et ne se déploie qu’à travers sa condition romantique, sauvée de l’ennui par les endorphines du coup de foudre” et Mae West, reine sexy d’avant-garde, révélée à 40 ans et “miraculeuse anomalie” du système hollywoodien. Avant de laisser la place à Frances McDormand, “présence brute, non transformée”, Isabelle Huppert, super-héroïne au don d’ubiquité qui dit “son horreur du réel” et, enfin, Bette Davis, autre anomalie qui joua très tôt aux vieilles et aux moches, et qui finit par imprimer sur les films sa propre signature (de cinéaste). À travers chacune d’elles, c’est finalement un triomphe rusé, une forme de résistance tacite que met en scène le livre. Car “il y a toujours plus à dire d’une vie qui ruse avec les interdits, quitte à se vivre hors-la-loi, que d’un destin tranquillement autorisé à avancer en âge.”

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