“Les Enfants des autres” :  la “belle-maternité” selon la brillante Rebecca Zlotowski

Pourquoi les cinéastes fabriquent-ils et elles des films ? C’est une question générique, un peu tarte même, celle qu’il nous arrive quelquefois de poser en tant que journaliste, tout en sachant très bien que les réponses des intéressé·es seront souvent réductrices, ou convenues, à se demander parfois si ce désir, dont l’origine est parfois inconsciente, résiste à sa mise en mots, un peu comme si le charme du geste créatif pouvait être rompu par la volonté de l’expliquer, voire de le psychologiser. Et pourtant, sans même qu’on ait eu besoin de la lui poser, Rebecca Zlotowski, qui fait partie des cinéastes qui sont les meilleur·es exégètes de leur œuvre, y répond dans la note d’intention du dossier de presse qui accompagne la sortie de son cinquième film : “Le lien qui peut nous unir aux enfants d’un autre, homme aimé dont on partage la vie et donc la famille, m’a semblé non seulement ne pas posséder de nom (on parle de maternité, de paternité, pas de belle-maternité, de belle-paternité), mais aussi être orphelin de représentation. […] J’ai voulu faire, avec Les Enfants des autres, un film qui m’avait tout simplement manqué.” Un mélodrame de la féminité esseulée Il est vrai que si les fictions de la maternité sont nombreuses, et celles de la non-maternité, existantes, tandis que celles de maternité de substitution se font rares, il n’existe aucune fiction de la “belle-maternité”. Cette idée qu’un manque intime et autobiographique (devoir s’occuper de la progéniture d’autrui en étant soi-même privé·e d’en avoir une à soi) débouche, par effet de translation, sur un manque de représentation qui confère au cinéma la possibilité, non de guérison, mais d’apaisement. Le cinéma, semble nous dire Zlotowski, substitue à notre regard un monde qui ne s’accorde pas à nos désirs, mais qui endosse un rôle cathartique par le seul pouvoir de la représentation. L’expérience d’une femme qui veut un·e enfant tout en vivant avec un homme qui n’en veut plus Le mirage de la vie (on pense parfois au chef-d’œuvre de Sirk, autre grand mélodrame de féminité esseulée, de sororité réparatrice et de famille recomposée, en voyant Les Enfants des autres) que dissipe le film est celui de l’idéal normé de la famille hétéro-nucléaire. Sans être à charge ou distiller une quelconque morale, il restitue avec une infinie justesse et une touchante pudeur l’expérience d’une femme (Virginie Efira, ce “cerveau érotique”, comme la qualifie si bien la cinéaste), prof en lycée qui veut un·e enfant tout en vivant avec un homme qui n’en veut plus (Roschdy Zem) et en s’occupant de la petite fille qu’il a eue avec une autre (Chiara Mastroianni). Un échange de regards complices avec la mère biologique, une compote glissée dans une poche, un café pris avec un élève qu’elle recroise des années après et en qui elle était la seule à croire, un dessin d’enfant… autant de scènes magnifiques qui, loin de limiter le film au récit d’un renoncement ou d’une plate résilience, épousent le trajet d’une lucide et tranquille sublimation. Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, avec Virginie Efira, Roschdy Zem, Victor Lefebvre (Fr., 2022, 1h43). En salle le 21 septembre.

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